Le dieu Shiva – manuscrit du Markandeya Purana
UPANISHADS HORS-CANON
Baskala Upanishad
Upanishad du Sage Baskala
Traduite et annotée par M. Buttex
D'après la version de Paul Deussen,
reprise par les Prof. V.M. Bedekar et G.B. Palsule
Notes préliminaires : BASKALA : « précepteur, instruit, sage » - Deux recensions du Rig Véda existent : celle de Shakala et celle de Baskala, deux maîtres probablement éminents, dont la datation exacte reste toujours problématique. Baskala a fondé une des nombreuses écoles védiques, qui porte bien sûr son nom, spécialisée dans le Rig Véda (cf. Shakha).
Cette Upanishad, qui porte aussi le nom de Baskala Mantra Upanishad dans l'édition Adyar, a déjà été traduite en français par Louis Renou (1896-1966). L'anecdote qu'elle raconte illustre admirablement la fondamentale ambigüité du divin, mettant en exergue tout l'arbitraire du pouvoir divin, et montrant à quel point il peut aussi écraser la créature humaine ou user de violence afin de la mener à « la Vérité, l'Être absolu » : « Je ne peux te libérer sans t'emmener dans ma demeure. » Cette formule abrupte synthétise en fait la totalité de l'enseignement védantin, même si elle ne provient pas de la tradition de l'école Baskala. Indatable, écrite dans une langue assez archaïque, il se pourrait qu'elle soit tardive. Mais, telle qu'elle est, c'est une une œuvre forte, étonnante, de grande valeur littéraire.
Il advint un jour que le sage Indra prit la forme d'un bélier pour s'approcher de Medhatithi, fils de Kanva, et le souleva contre sa volonté pour l'emporter au ciel. Medhatithi, indigné de cet enlèvement par contrainte, laissa éclater sa colère contre Indra : « Tu sais qui tu es, moi je sais seulement que tu es fort et rapide. Qui te verrait ainsi ne croirait pas que tu es l'un de ces béliers qui se déplacent au sol, alors que toi, tu te déplaces sans même toucher terre ! Aucun être alourdi par le fardeau d'un corps ne pourrait voler vers les mondes supérieurs comme tu l'as fait. Tu es le tout-connaissant, alors dis-moi qui tu es. Sinon, moi qui suis un brahmane, je vais te frapper de ma colère !
Le puissant Indra, qui voit tout,
Qui comble les souhaits, conquiert les hordes
De ses ennemis, s'empare de tout,
C'est pour Lui que j'ai pratiqué mon ascèse.
Il me voit, où qu'Il soit,
Lui qui brandit l'éclair dans sa main
Pour frapper celui qui dévie
Du droit chemin et prend des chemins tortueux.
Maintenant que, contre ma volonté,
Je suis tombé entre tes mains,
Où donc vas-tu me mener, être merveilleux,
Et où se trouve ton royaume ?
Où donc mon père peut-il bien être ?
Dort-il, et n'a-t-il aucune nouvelle
De toi, qui me vole à moi-même,
Et de moi, que tu lui as volé ?
Et les dieux dans leurs cieux lumineux,
À l'est comme au sud, à l'ouest comme au nord,
Et ceux qui vivent dans l'empyrée supérieur,
Savent-ils seulement que tu m'as enlevé ?
J'ai comme il convient procédé à leur culte,
Alors pourquoi ne me libèrent-ils pas ?
Où donc ai-je pu commettre une faute,
Qu'ils ne viennent pas à mon secours ? »
Indra sourit et dit ces paroles, afin de chasse le doute dans l'esprit de Medhatithi : « Qui est selon toi celui qui te tient maintenant sous sa protection et sa garde ? Tu te sens opprimé par moi, cependant tu ne sais pas qui je suis, et tu ignores que je ne peux te libérer sans t'emmener dans ma demeure.
Je suis l'Un, qui récompense le sacrifice,
Je suis le mantra qui consacre les oblations,
Je suis le feu qui consume les offrandes,
Je suis le témoin de tout ce qui existe.
Je nourris les dieux, aussi; tous les mondes,
Et l'Œuf de Brahma, Je les ai façonnés et y réside.
Je suis séparé de tout ce qui existe au monde,
Et cependant étroitement lié à tout ce qui existe.
Je suis le Verbe auguste qui se divise
Et se dissémine dans la multiplicité des discours.
C'est Moi qui ai tué le démon Vritra,
Alors qu'il était serpent vivant dans les montagnes.
Avec mon éclair, Je terrifie tout ce qui vit.
Je fais croître la nourriture, et Je suis l'aile
De tout ce qui vole; les victoires que gagna Indra
Avec ses armées, c'est Moi qui les ai remportées !
Qui pourrait Me connaître ? Qui pourrait Me définir ?
J'ai abattu tous mes ennemis, aucun ne M'a abattu.
Je donne la nourriture; qui donc, dans tous les mondes,
Serait capable de voir l'étendue de mon pouvoir ?
Je suis l'Un, Je suis la lumière, J'apparais,
J'assume d'innombrables formes par mes pouvoirs magiques.
Je ne redoute rien; Je suis au cœur de tous les êtres,
Le guide intérieur, le témoin universel.
Nul ne pourra jamais surpasser ma grandeur :
Terre et ciel, c'est Moi qui les ai déployés.
Du sacrifice, Je fais la nourriture des rois,
Et à ceux qui sacrifient joyeusement, Je distribue des récompenses.
Je connais le centre de la terre, Je fus le premier parent,
Père et mère de ce monde.
J'ai fait la pluie qui s'écoule du ciel,
J'ai créé la rosée qui s'égoutte de l'atmosphère.
Je connais les Védas, les sacrifices, les mètres poétiques,
Et tous les trésors. Je suis le feu au fond de l'océan (1),
Qui brûle, inextinguible. Je suis le feu de Nachiketas (2),
Le feu pur qu'on dresse sur l'autel.
1 Aurva : « Né de la cuisse » - Petit-fils de Brighu, l'un des sept Rishis, il naquit donc dans le clan des Brighus à la période que décrit le Mahabharata, et subit de multiples affronts de la part du clan des Kshatriyas, dépouillés jadis en leur faveur par le munificent roi Kritavirya. Les Kshatriyas décimèrent alors les Brighus, jusqu'aux foetus dans le ventre de leurs mères. Aurva naquit de la cuisse de sa mère, dans une lumière aveuglante, qui mit en déroute ses assaillants et lui laissa la vie sauve. Devenu un grand sage, il contenait néanmoins une ardente colère contre les Kshatriyas, qu'il déversait dans une ascèse telle que ses pouvoirs devinrent dangereux pour les dieux comme pour les humains. Les Pitris, mânes des ancêtres, surent le convaincre de déverser le feu de sa colère au fond de l'océan.
2 Nachiketas est le jeune garçon que son père envoie à la mort et qui exige de Yama, la Mort, un enseignement approfondi avant de mourir. Cf. Katha Upanishad.
Je suis le prêtre qui, au cours du sacrifice,
À la percée du jour, avant même que les oiseaux ne s'envolent,
Verse les offrandes sacrificielles dans le feu
Et chante la louange du feu sur des notes vigoureuses.
Il n'a qu'une seule roue et douze rayons, le chariot
Qui dessine le cours de l'année en montant vers le ciel;
C'est le soleil, qui en l'espace de douze mois
Fait le tour de la terre. Et c'est Moi qui conduis ce chariot.
Et celle qui, jour après jour, fait croître sa lumière,
Gonfle son corps et fait de nouveau couler la pluie,
Ces eaux qui sont l'origine de la vie,
Je suis cet être, également, Je suis la lune.
Et celui qui, dans le mondes des créatures vivantes,
Se déplace au milieu d'elles, et au-dessus d'elles,
Qui purifie l'univers en s'y répandant de part en part,
Je suis cet être, également, Je suis le vent.
Et celle qui, tout au fond de ses entrailles,
Tient le monde des végétaux bien caché,
Et le fait s'élever pour la satisfaction du sacrificateur,
Je suis cet être, également, Je suis la terre.
C'est Moi qui, me transformant en souffle de vie,
Pénètre au sein de toute forme, grande comme petite,
Et circule en tous les êtres, supérieurs comme inférieurs.
Celui qui Me rencontre dans la cavité de son cœur devient Moi-même.
Je suis quintuple et décuple, un et des milliers,
Déployé en l'infinité des formes de cet univers.
Celui qui sait cela se déploie comme Moi,
Celui qui l'ignore ne se connaît pas lui-même.
On ne peut parvenir à Moi par les actes,
Ni par l'étude des Écritures, ni par de nombreux jeûnes,
Ni par la charité, même fréquemment pratiquée.
Et pourtant, tous viennent à Moi, par tous les chemins.
Qui est-il, celui qui tue et fait des prisonniers ?
Qui est ce bélier, qui t'a porté depuis là-bas ?
C'est Moi, qui me manifeste sous cette forme,
C'est Moi, qui me manifeste sous toutes les formes.
Lorsque quelqu'un a peur de quelque chose ou d'autrui,
Je suis les deux, celui qui a peur et celui qui fait peur.
Cependant Ma grandeur établit une différence :
Je les dévore tous, personne ne Me dévore.
Ô Medhatithi, c'est par dévotion envers Moi
Que tu as supporté tant de pénitences et de tortures auto-infligées.
Et c'est pour te mener à la Vérité, à l'Être absolu,
Que Je suis descendu sur terre sous la forme d'un bélier.
Par ce chemin qui mène à la Vérité,
Oui, par ce chemin, tu atteindras très vite la Vérité.
Je suis lumineux, éternel, illimité,
Ce qui fut, ce qui est et ce qui sera – Je suis tout cela.
Ce que Je suis et ce que tu es, Moi et toi,
Ou toi et Moi, sache-le, Je suis tout cela.
Ne doute plus ! Jusque là tu étais un ignorant,
Tu a acquis l'expérience maintenant. Ne doute plus !
C'est Moi qui nourris et mets en mouvement
Les récoltes de tous les actes,
Et c'est Moi qui maintiens l'univers dans un abri protecteur.
Ce monde tout entier est Ma forme.
Comme Rudra, Je suis le destructeur du monde,
J'ébranle tout ce qui existe. Je suis la Mort, aussi,
C'est Moi qui ordonne la misère et les fléaux.
Je suis le Maître de ce monde, Je suis le cygne de son âme.
Je suis exempt de la souffrance, ainsi que du vieillissement,
Je suis l'Ancien, Je suis exempt de tout.
En vérité, Je suis l'univers. Oui, Je suis l'univers.
Je suis aussi celui qui apporte son offrande.
De tous côtés, Je suis le visage universel,
Je suis le Seigneur, le Témoin aussi.
Omniprésent, compatissant pour tous,
Je suis l'Un. Ce qui existe, Je suis cela. »
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